The Project Gutenberg EBook of Le vaisseau fantôme, by Richard Wagner This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: Le vaisseau fantôme Author: Richard Wagner Translator: Charles Nuitter Release Date: October 18, 2008 [EBook #26943] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE VAISSEAU FANTÔME *** Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net
NOUVELLE ÉDITION
OPÉRA EN TROIS ACTES
DE
RICHARD WAGNER
TRADUCTION FRANÇAISE DE
M. CHARLES NUITTER
PARIS
P.-V. STOCK, ÉDITEUR
(Ancienne librairie TRESSE & STOCK)
8, 9, 10, 11, GALERIE DU THÉÂTRE-FRANÇAIS
PALAIS-ROYAL
1897
Tous droits de traduction, de reproduction et d'analyse réservés
pour tous les pays, y compris la Suède et la Norvège.
LE
VAISSEAU FANTÔME
Représenté pour la première fois
à Paris, sur le théâtre national de l'Opéra-Comique,
le 10 mai 1897.
P.-V. STOCK, ÉDITEUR
LES PREMIERS OPÉRAS
DE
RICHARD WAGNER
(Traduction de M. Ch. Nuitter)
Pour la partition et les parties d'orchestre, s'adresser à MM. A. Durand et Fils, éditeurs de musique, 4, place de la Madeleine, à Paris.
ÉMILE COLIN—IMPRIMERIE DE LAGNY
La note de Richard Wagner, relative à la mise en scène du Vaisseau fantôme, qu'il nous a paru intéressant de reproduire, a été insérée dans le tome V de ses œuvres complètes. S'il en était besoin, elle démontrerait une fois de plus avec quel soin minutieux il savait régler tout ce qui doit contribuer à la bonne exécution de ses drames lyriques et rendre plus complète l'intime union du poème et de la musique. Cette note ne sera pas inutile aux artistes qui auront à interpréter le Vaisseau fantôme, et parfois elle peut rendre à l'œuvre originale quelque chose de ce que lui fait perdre forcément une traduction musicale.
Après avoir parlé des décorations et des effets de lumière, le maître passe à ce qui concerne le jeu des chanteurs:
Je m'adresse donc exclusivement aux acteurs, et parmi eux surtout, à celui qui est chargé du rôle d'homme principal «Le Hollandais», qui est si difficile.
C'est de l'heureuse exécution de cette partie principale seule que dépend le succès véritable de tout l'opéra. Il faut que l'acteur parvienne à faire naître et à faire durer la compassion la plus profonde; il pourra y arriver s'il suit exactement les traits principaux caractéristiques suivants:
Son aspect extérieur est suffisamment indiqué. Sa première entrée est excessivement solennelle et grave. La lenteur hésitante avec laquelle il avance sur la terre ferme doit faire un contraste tout particulier avec le tangage extraordinairement violent et inquiétant du vaisseau sur la mer.
Pendant les sons graves de trompettes (si mineur) tout à fait à la fin de l'introduction, il s'est avancé sur une planche placée par ses hommes du bordage du vaisseau jusqu'à une roche plate du rivage.
La première note de la ritournelle de l'air, le mi dièze grave des basses, accompagne le premier pas du Hollandais sur la terre; sa démarche chancelante, telle que l'ont les marins qui touchent terre, pour la première fois après une longue absence en mer, est de nouveau accompagnée par l'imitation musicale des vagues que font les violoncelles et les altos.
Sur le premier temps de la troisième mesure il fait le second pas, toujours les bras croisés et la tête baissée; il fait son troisième et son quatrième pas à la huitième et à la dixième mesure.
À partir de ce moment, ses mouvements suivent la spontanéité instinctive de son exécution vocale et dramatique, mais il faut que l'acteur prenne garde de jamais se laisser entraîner par une vivacité exagérée dans ses mouvements scéniques. Un certain calme, particulièrement effrayant, dans son attitude et son aspect extérieurs, même, en exprimant, avec la passion intérieure la plus forte, sa douleur et son désespoir, assurera l'effet voulu à tout ce qui doit vraiment caractériser son apparition.
Les premières phrases sont chantées sans la moindre passion, comme par un homme épuisé de fatigue; presque exactement en mesure, comme en général tout le récitatif. Aux paroles: «Ah! superbe océan, etc...», chantées avec une rage amère, il ne donne pas cours encore à la passion véritable: c'est plutôt avec un dédain terrible qu'il se contente de tourner à demi la tête vers la mer.
Pendant la ritournelle qui suit: «Et ma peine est sans fin», il baisse de nouveau la tête, comme fatigué et brisé de tristesse; il chante les paroles: «Mer, tu seras le témoin, etc...», avec les yeux hagards, le regard perdu devant lui.
Pour la mimique qui doit accompagner l'allegro: «Combien de fois las de souffrir, etc...», je ne veux pas restreindre trop étroitement le chanteur dans ses mouvements extérieurs, mais qu'il s'en tienne toujours, là aussi, à ma principale observation, de conserver encore la plus grande tranquillité possible dans son attitude, au moment même de la passion la plus grande, la plus saisissante, du sentiment de la plus profonde douleur, dont il doit animer l'expression de son chant; qu'il se contente d'un geste, pas trop large cependant, du bras ou de la main pour les quelques accents violents de la diction. Même les paroles: «Mais ni la tombe, ni la mort!» qui doivent être chantées avec la plus puissante accentuation sont la «description» de sa souffrance plutôt que l'explosion véritable et directe de son désespoir. Il y arrive seulement dans le passage qui suit, et pour ceci il lui faut réserver la suprême énergie de l'action.
En répétant les paroles: «Tel est l'arrêt cruel du sort», il a courbé la tête et s'est un peu incliné: il reste ainsi jusque pendant les quatre dernières mesures avec le trémolo des violons dans la cinquième mesure, et, conservant toujours la même attitude, il lève les yeux vers le ciel. À l'entrée pianissimo des timbales, dans la neuvième mesure, il commence à trembler épouvanté, les mains baissées se crispent, serrant le poing, ses lèvres frémissent, jusqu'à ce qu'il commence enfin, les yeux hagards toujours tournés vers le ciel, la phrase: «Ange du ciel». Toute cette apostrophe presque directe à «l'ange, du ciel» qui doit être chantée avec la plus terrible expression, sera exécutée dans l'attitude déjà indiquée sans autres changements importants que ceux qui sont exigés par la diction de tels ou tels passages: nous devons voir devant nous un ange déchu, qui, en sa terrible torture, exhale sa tragique fureur, en s'adressant à la justice éternelle. Enfin, aux paroles: «En vain, j'espère», toute la force de son désespoir se déchaîne; il se redresse avec rage, et, les yeux toujours dirigés vers le ciel, il exprime toute la plus violente énergie de la douleur.
Vaine espérance: il ne veut plus rien savoir de la délivrance promise, et son attitude change maintenant, à l'entrée des timbales et des basses, comme s'il était anéanti.
À l'entrée de la ritournelle de l'allegro, ses traits se raniment, il revient à une nouvelle espérance, espérance horrible, la dernière, l'espérance en la fin du monde, où il devra périr, lui aussi.
Cet allegro final exige la plus effrayante énergie dans le chant comme dans la mimique, car tout ici est émotion directe. Que le chanteur parvienne cependant à faire paraître ce «tempo», entier, malgré toute la puissance de la diction, comme n'étant que l'effet de toutes ses forces réunies: cette explosion devient la plus extrême et la plus écrasante, aux paroles: «Ô mondes, cessez votre cours.» C'est là que la sublimité de l'expression doit atteindre à son comble.
Après les dernières paroles: «À moi, néant, et pour toujours», il demeure debout, pendant tout le fortissimo dans une fière attitude, presque semblable à une statue. Ce n'est qu'à l'entrée du «piano», pendant le chant sourd qui vient du vaisseau, que cette violente fixité se détend peu à peu; ses bras s'abandonnent, retombent.
Aux quatre mesures «expressivo» des premiers violons, il baisse la tête, épuisé, et va en chancelant sur les dernières huit mesures vers les roches de la falaise opposée: là il s'adosse au roc, et alors les bras croisés sur la poitrine, il demeure longtemps dans cette position.
Je n'ai détaillé si soigneusement cette scène qu'afin de montrer en quel sens je veux que le «Hollandais» soit représenté, et combien est grande l'importance de la plus minutieuse concordance du jeu avec la musique.
Que l'acteur se donne la peine de chercher à concevoir dans le même sens son rôle tout entier. Au reste, cet «air» est la partie la plus difficile du rôle, surtout parce que c'est de la bonne réalisation de cette scène qui dépend, pour le public, la compréhension ultérieure du sujet.
Si ce monologue, selon mes intentions, a su saisir et émouvoir complétement, le succès est assuré pour la partie la plus importante de l'œuvre entière, tandis que tout ce qui suit ne serait pas capable de faire regagner ce que l'on aurait abandonné ici.
Dans la scène avec Daland, le «Hollandais» reste pour un moment dans l'attitude précédente. Il répond, en relevant un peu la tête, aux paroles que Daland lui adresse de son bord.
Quand Daland le rejoint à terre, le Hollandais s'avance, avec un calme imposant, vers le milieu de la scène.
Tout son aspect dénote ici une dignité calme et tranquille; dans tout ce qu'il dit l'expression est mesurée, noble, mais sans aucun accent de force: il agit et parle comme s'il était habitué dès longtemps à ce qui se passe: si souvent déjà, il lui est arrivé d'avoir de telles rencontres et de procéder à de semblables négociations; tout, même les questions et les réponses qui paraissent les plus intentionnelles, doivent avoir lieu comme involontairement; il agit pour ainsi dire sous la contrainte de sa magique situation à laquelle il s'abandonne machinalement, comme épuisé et indifférent. Mais tout aussi involontairement se réveille en lui cet ardent désir de rédemption: après la terrible explosion de son désespoir, il est devenu plus doux, moins rude, et c'est avec une tristesse émouvante qu'il exprime son ardent désir de repos. Il pose encore avec une apparente tranquillité la question: «As-tu donc une fille?» La réponse enthousiaste de Daland: «Mais oui, fidèle enfant,» le rappelle de nouveau subitement à l'ancien espoir si souvent reconnu vain! Avec une hâte poignante il s'écrie: «Donne-la-moi!» L'ardent désir d'autrefois s'empare de lui à nouveau, et c'est avec l'expression la plus émouvante qu'il s'abandonne à dépeindre sa situation, tout en gardant le calme extérieur, en chantant: «Sans une épouse, sans un enfant.» La chaleureuse description que le père fait ensuite de sa fille anime de plus en plus en lui son ardent désir de «délivrance par la fidélité d'une femme» et l'élève dans l'allegro final du duo, jusqu'au combat le plus passionné entre l'espérance et le désespoir, combat dans lequel l'espérance semble déjà triompher.
À sa première rencontre avec Senta, au deuxième acte, le Hollandais apparaît de nouveau, calme et solennel dans son attitude extérieure: tous ses sentiments passionnés sont refoulés avec une tension énergique, en son for intérieur.
Pendant la longue durée du premier point d'orgue, il reste immobile sous la porte; avec l'entrée du solo de timbales, il s'avance lentement vers le devant de la scène; avec la huitième mesure de ce solo, il s'arrête, les deux mesures «accelerando» aux instruments à cordes se rapportent au geste de Daland, qui, tout étonné, attend que Senta lui souhaite la bienvenue, et l'y invite avec un mouvement de ses bras ouverts, dans une sorte d'impatience; pendant les trois mesures de timbales qui suivent, le Hollandais s'avance tout à fait sur le devant de la scène, de côté; il reste là maintenant pendant tout ce qui suit, sans mouvement, les yeux toujours fixés sur Senta. Le dessin des instruments à cordes qui se répète, se rapporte à la répétition plus accentuée du geste de Daland: au pizzicato, au point d'orgue, il cesse de l'inviter du geste, et tout étonné secoue la tête; avec l'entrée des basses après le point d'orgue, il s'approche lui-même de Senta.
Ce qui suit l'air de Daland doit être réalisé mimiquement en entier. Pendant les quatre premières mesures «forte», Daland se dispose tout de suite et avec décision à partir: sur la cinquième mesure et la sixième il s'arrête et se retourne; les sept mesures qui suivent accompagnent sa mimique exprimant son attente, où la satisfaction se mêle à la curiosité; pendant les deux mesures suivantes de basses, il va jusqu'à la porte en secouant la tête; quand le thème revient aux instruments à vent, il passe encore une fois la tête, se retire avec dépit et ferme la porte sur lui, de sorte qu'à l'entrée de l'accord en fa dièse majeur des instruments à vent, il est déjà loin. Pendant le reste de même que pendant la ritournelle du duo qui suit, pas un mot, pas un geste sur la scène.
Senta et le Hollandais, aux deux côtés opposés, sur le devant de la scène, restent fascinés par la vue l'un de l'autre.
Que les acteurs ne craignent pas de fatiguer par là le public, il a été prouvé que c'est justement cette situation qui saisissait le plus le spectateur et le préparait le mieux à la scène suivante.
Dans la phrase en mi majeur qui suit, le Hollandais doit conserver, en chantant de la manière la plus émue, la plus saisissante, une attitude ayant l'apparence du plus grand calme extérieur; qu'il ne se serve pour soutenir les accents les plus marqués que de la main et du bras (et ceci même avec modération).
Ce n'est qu'aux deux mesures du solo de timbales qui précède le passage en mi mineur que le Hollandais fait un mouvement, afin de s'approcher un peu de Senta: il marche avec une certaine timidité et une courtoisie triste, en faisant quelques pas vers le milieu de la scène pendant la petite ritournelle.
Je dois ici faire observer au chef d'orchestre que l'expérience m'a démontré que je me suis trompé en indiquant: «un poco meno sostenuto;» il est vrai que le grand mouvement précédent est assez lent au début surtout pour le premier solo du Hollandais; petit à petit jusqu'à la fin il s'anime involontairement mais de façon telle que forcément il doit de nouveau un peu ralentir, en rentrant en mi mineur, afin de donner au commencement du moins de cette phrase l'expression nécessaire, solennelle et calme. Cette phrase de quatre mesures doit même être retardée de manière que la quatrième mesure soit exécutée avec un grand «ritenuto». Le même cas se représente dans la première phrase chantée du Hollandais.
Sur la neuvième mesure et sur la dixième, pendant le solo de timbales, il s'approche encore de Senta d'un pas d'abord et de deux pas ensuite.
Pour la onzième et la douzième mesure, il s'agit de serrer un peu le mouvement afin d'arriver sur la phrase en la mineur «Dois-tu donner ta main, etc.» dans le vrai mouvement, toujours modéré, mais moins traînant, mouvement qui doit être maintenu par la suite sans être altéré. Dans le «piu animato:» «Quoi, pour toujours» le Hollandais trahit l'impression vivifiante qu'a faite sur lui la sincérité des premières paroles de Senta: il faut déjà qu'il chante cette phrase avec une grande émotion.
Mais l'exclamation passionnée de Senta: «De ses tourments qu'enfin je le délivre», le remue au plus profond de l'être. Plein d'étonnement et d'admiration, il est pris d'un tremblement, en disant à voix presque basse: Ô doux accents au sein de ma douleur.»
Dans le «molto piu animato», il n'est presque plus maître de lui; il chante avec feu et passion, et tombe à genoux en disant: «Qu'il vienne d'elle, ô Dieu puissant.»
Avec l'agitato en si mineur, il se relève par un mouvement violent: son amour pour Senta se fait sentir tout de suite dans la plus terrible angoisse qui l'étreint en songeant au sort auquel elle s'expose en lui tendant la main pour le sauver. Cette pensée entre dans son esprit comme un effrayant remords, et dans ce passage passionné où il dissuade Senta de compatir à sa destinée, il devient tout à fait un être humain véritable, tandis que jusqu'alors il ne faisait surtout, la plupart du temps, que l'horrible impression d'un fantôme.
Là encore l'acteur doit s'abandonner, en son attitude extérieure, à la passion la plus humaine. Comme anéanti, il se prosterne devant Senta, aux paroles «Fidélité ne brille en toi», de sorte que Senta, debout, le domine, sublime, pareille à un ange, tandis que par les paroles suivantes, elle lui donne l'assurance de ce qu'elle entend par «Fidélité».
Dans l'«allegro molto» qui suit, pendant la ritournelle le «Hollandais» se redresse tout debout avec une émotion solennelle et un transport grandiose: ses accents s'échauffent jusqu'au plus sublime chant de victoire.
Pour ce qui reste, il ne peut y avoir aucun malentendu: dans sa dernière entrée au troisième acte, tout est passion, douleur et désespoir.
Tout particulièrement je recommande de ne jamais élargir les récitatifs, mais de tout prendre au contraire dans le mouvement le plus vif, le plus serré.
Il serait difficile de rendre mal le rôle de Senta. Il suffit d'avertir l'interprète d'un point seulement: on ne doit pas concevoir cet être «rêveur» dans le sens d'une sentimentalité moderne, maladive! Bien au contraire, Senta est une jeune fille du Nord, tout à fait énergique, et même, sous son apparence de sentimentalité, elle est absolument naïve. Ce n'est précisément que sur une jeune fille tout à fait naïve, avec le caractère spécial de la nature du Nord, que les impressions telles que celles de la ballade du Vaisseau fantôme et du portrait du pâle marin pouvaient produire un attrait aussi miraculeusement puissant, tel que celui qui la pousse à la délivrance du Maudit. Cette impulsion se manifeste chez elle comme une puissante folie que seules les natures tout à fait naïves sont capables de ressentir. Il a été reconnu que des jeunes filles du Nord éprouvaient des émotions d'une telle puissance que la mort était instantanée par arrêt subit du cœur. Il en serait à peu près de même pour l'état maladif en apparence de la pâle Senta.
Érik non plus ne doit pas paraître un être larmoyant et sentimental; il est au contraire impétueux, véhément et sombre, tel que doit l'être un solitaire, surtout dans les hautes terres du Nord. Celui qui chanterait la cavatine du troisième acte d'une façon agréable, me rendrait un mauvais service, car elle ne doit respirer qu'une douloureuse mélancolie et une profonde tristesse. Tout ce qui pourrait justifier une fausse conception de ce morceau, par exemple le passage chanté en voix de tête et le point d'orgue final, doit être changé ou supprimé, je le demande avec instance.
Je prie encore l'acteur chargé du rôle de Daland, de ne pas tourner ce rôle au comique proprement dit. C'est une exacte manifestation de l'existence vulgaire, c'est un marin qui brave les tempêtes et les dangers par amour du gain; l'on ne doit pas du tout considérer, par exemple, comme immoral—bien que cela puisse paraître mériter ce nom—l'acte par lequel il vend sa fille à un homme riche. Il pense et agit, comme font bien d'autres, et sans supposer à cela le moindre mal.
Richard Wagner.
LE HOLLANDAIS | MM. | Bouvet. |
DALAND, marin Norvégien | Belhomme. | |
ÉRIK, chasseur | Jérome. | |
LE PILOTE, de Daland | Carbonne. | |
SENTA, fille de Daland | Mlle | Marcy. |
MARIE, nourrice de Senta | Mme | Carré-Delorn. |
L'action se passe en Norvège, au bord de la mer.
LE
VAISSEAU FANTÔME
Le Théâtre représente un rivage bordé de rochers à pic.—La mer occupe une grande partie de la scène.—La vue s'étend au loin sur les flots.—Temps sombre.—Violent ouragan.
LES MATELOTS NORVÉGIENS, DALAND, LE PILOTE.
(Le navire de Daland vient de jeter l'ancre près du rivage. Les Matelots travaillent bruyamment à carguer les voiles, à lancer des câbles.
Daland est à terre, il gravit un rocher et regarde autour de lui pour reconnaître la contrée.)
LES MATELOTS, travaillant.
DALAND, descendant du rocher.
LE PILOTE, criant du bord à travers ses mains.
DALAND.
LE PILOTE.
DALAND.
(Allant à bord.)
(Aux Matelots.)
(Les Matelots descendent dans la cale.—Au Timonier.)
LE PILOTE.
(Daland rentre dans sa cabine.)
LE PILOTE.
(Le Pilote est seul sur le pont. L'ouragan s'est un peu calmé et ne reprend plus que par intervalles. Au large les vagues s'élèvent énormes. Le Pilote fait encore une fois la ronde; puis il s'assied au gouvernail. Bientôt il sent venir le sommeil, il se secoue et chante.)
(Une vague ébranle le navire. Le Pilote se lève vivement et regarde. Il s'assure qu'il n'y a pas de mal, se rassied et chante tandis que le sommeil le gagne par degrés.)
(Il lutte contre la fatigue et finit par s'endormir. La tempête recommence. Le temps s'assombrit. Dans le lointain se montre le vaisseau fantôme avec ses voiles d'un rouge de sang et ses mâts noirs. Il s'approche avec rapidité du rivage à côté du navire norvégien. L'ancre tombe avec un bruit terrible. Le Pilote de Daland s'éveille en sursaut. Sans quitter sa place, il jette un coup d'œil sur le gouvernail, et, assuré que tout est bien, il murmure quelques mots de sa chanson.)
(Il se rendort.)
LE HOLLANDAIS, LE PILOTE, endormi.
(Sans le moindre bruit l'équipage fantastique du vaisseau fantôme cargue ses voiles. Le Hollandais descend à terre.)
LE HOLLANDAIS.
(Chœur sourd de l'équipage du Vaisseau Fantôme.)
(Le Hollandais se couche sur un rocher à l'avant-scène.)
LE HOLLANDAIS, DALAND, LE PILOTE.
(Daland sort de sa cabine; il vient sur le pont et aperçoit le vaisseau du Hollandais.)
DALAND, se tournant vers le pilote.
LE PILOTE, se levant à demi, encore sommeillant.
(Continuant sa chanson.)
DALAND.
LE PILOTE.
(Il prend à la hâte son porte-voix et hèle le vaisseau.)
(Long silence. On entend deux fois l'écho.)
(Long silence. Nouvel écho.)
DALAND.
LE PILOTE.
DALAND, apercevant le Hollandais à terre.
LE HOLLANDAIS, sans changer de place.
DALAND.
LE HOLLANDAIS.
DALAND.
LE HOLLANDAIS.
DALAND.
(Au Hollandais.)
(Le Hollandais fait signe aux hommes de son équipage. Deux d'entre eux apportent un coffre.)
LE HOLLANDAIS.
DALAND.
LE HOLLANDAIS.
DALAND.
LE HOLLANDAIS.
DALAND.
LE HOLLANDAIS.
DALAND, avec joie.
LE HOLLANDAIS.
LE HOLLANDAIS.
DALAND.
DALAND.
LE HOLLANDAIS.
DALAND.
LE HOLLANDAIS.
DALAND.
LE HOLLANDAIS.
DALAND.
LE HOLLANDAIS.
(À lui-même.)
DALAND.
LE HOLLANDAIS.
LE HOLLANDAIS.
DALAND.
(La tempête est complétement apaisée, le vent a tourné.)
LE PILOTE, à bord.
LES MATELOTS, agitant leurs chapeaux.
LE PILOTE, répétant sa chanson.
LES MATELOTS.
DALAND, au Hollandais.
(Les Matelots lèvent l'ancre et mettent les voiles dehors.)
LE HOLLANDAIS.
DALAND.
LE HOLLANDAIS.
DALAND
LE HOLLANDAIS.
DALAND, allant au bord de son navire.
LES MATELOTS, avec joie.
(Le Hollandais monte sur son navire.)
FIN DU PREMIER ACTE.
Une chambre spacieuse dans la maison de Daland. Aux murs sont accrochés des instruments de marine, des cartes, etc.—Au fond un portrait d'homme au visage pâle, à la barbe brune, au vêtement noir.
SENTA, MARIE, JEUNES FILLES.
(Marie et les Jeunes Filles filent, assises autour de la cheminée. Senta, au fond d'un grand fauteuil les bras croisés, semble absorbée dans la contemplation du portrait.)
CHŒUR DES JEUNES FILLES.
MARIE
LES JEUNES FILLES.
MARIE.
LES JEUNES FILLES.
MARIE, à Senta qui reste plongée dans sa contemplation.
LES JEUNES FILLES.
(Senta semble chanter tout bas et comme pour elle un motif de la ballade.)
MARIE.
SENTA, sans changer de place.
(Soupirant.)
MARIE.
LES JEUNES FILLES, entre elles.
MARIE.
LES JEUNES FILLES.
MARIE.
LES JEUNES FILLES.
(Elles s'interrompent en riant.)
(Entre elles.)
SENTA, avec vivacité.
LES JEUNES FILLES, se remettant au travail avec un empressement affecté et comme pour ôter à Senta le temps de les gronder.
SENTA.
LES JEUNES FILLES.
SENTA.
MARIE.
SENTA, aux Jeunes Filles.
LES JEUNES FILLES.
SENTA.
LES JEUNES FILLES.
MARIE, avec dépit.
(Les jeunes filles quittent leurs rouets et se groupent autour de Senta placée dans le grand fauteuil. Marie prend son rouet et va filer près de la cheminée.)
SENTA.
(Vers la fin Senta se tourne vers le portrait. Les jeunes filles écoutent avec intérêt. Marie a cessé de filer.)
LES JEUNES FILLES.
SENTA.
(Après que les Jeunes Filles ont répété le refrain, elle continue avec une émotion croissante.)
LES JEUNES FILLES.
SENTA, se levant saisie d'une inspiration soudaine.
(Les Jeunes Filles se lèvent effrayées.)
MARIE et LES JEUNES FILLES.
Les Mêmes, ÉRIK.
ÉRIK, qui du seuil a entendu Senta.
LES JEUNES FILLES.
MARIE.
ÉRIK, sérieusement.
SENTA, qui était restée immobile et semblait ne rien entendre paraît s'éveiller et s'élance avec joie.
ÉRIK.
MARIE.
LES JEUNES FILLES.
MARIE.
LES JEUNES FILLES.
MARIE.
LES JEUNES FILLES.
(Marie pousse les Jeunes Filles devant elle et les suit.)
SENTA, ÉRIK.
Senta veut suivre les Jeunes Filles, Érik la retient.
ÉRIK.
SENTA, hésitant.
ÉRIK.
SENTA.
ÉRIK.
SENTA.
ÉRIK.
SENTA.
ÉRIK.
SENTA.
ÉRIK.
SENTA.
ÉRIK.
SENTA.
ÉRIK.
SENTA.
ÉRIK.
SENTA.
ÉRIK.
SENTA.
ÉRIK.
SENTA.
ÉRIK.
SENTA.
(Conduisant Érik près du portrait.)
ÉRIK.
SENTA.
ÉRIK.
(Senta s'assied épuisée dans le fauteuil. Au commencement du récit d'Érik elle semble tomber dans un sommeil magnétique et voir à son tour tout ce qu'on lui raconte. Érik est debout auprès d'elle, appuyé sur le siége.)
ÉRIK, d'une voix voilée.
SENTA, les yeux fermés.
ÉRIK.
SENTA, de même.
ÉRIK, montrant le portrait.
SENTA.
ÉRIK.
SENTA, avec une impatience croissante.
ÉRIK.
SENTA.
ÉRIK, regardant Senta avec un étonnement douloureux.
SENTA, s'éveillant tout à coup, avec la plus vive exaltation.
ÉRIK.
SENTA.
ÉRIK.
(Érik s'enfuit rempli d'épouvante. Senta après un élan d'enthousiasme retombe dans une muette contemplation et reste à la même place l'œil fixé sur le portrait.)
SENTA, d'une voix douce, mais très-émue.
SENTA, DALAND, le HOLLANDAIS.
La porte s'ouvre. Daland et le Hollandais entrent. Aussitôt que le Hollandais paraît, le regard de Senta passe du portrait sur lui. Elle pousse un cri de surprise et demeure immobile, comme fascinée, sans quitter l'étranger des yeux.—Le Hollandais s'avance sur le devant de la scène. Daland s'est arrêté à la porte et y reste comme attendant que Senta vienne au-devant de lui.
DALAND, s'approchant lentement de Senta.
SENTA, dès que Daland est arrivé près d'elle, elle lui prend la main.
(L'attirant plus près d'elle.)
DALAND.
(Au Hollandais.)
(Le Hollandais fait un mouvement d'assentiment.)
DALAND, à Senta.
(Senta tressaille, mais reste calme. Daland prend une parure et la montre à sa fille).
(Senta, sans paraître entendre, demeure les yeux fixés sur le Hollandais. Celui-ci, de son côté, la contemple sans écouter Daland.)
(Il considère attentivement le Hollandais et sa fille.)
(À Senta.)
(Au Hollandais.)
(Daland s'éloigne lentement en les considérant tous deux avec complaisance. Le Hollandais et Senta restent seuls. Ils demeurent immobiles.)
SENTA, LE HOLLANDAIS.
LE HOLLANDAIS.
SENTA.
LE HOLLANDAIS, s'approchant de Senta.
SENTA.
LE HOLLANDAIS.
SENTA, à elle-même.
LE HOLLANDAIS, qui a entendu Senta.
SENTA.
LE HOLLANDAIS.
SENTA.
LE HOLLANDAIS.
SENTA.
LE HOLLANDAIS.
SENTA.
LE HOLLANDAIS.
Les Mêmes, DALAND.
DALAND, rentrant.
(Au Hollandais.)
(À Senta.)
SENTA, au Hollandais, avec une résolution solennelle.
LE HOLLANDAIS.
DALAND.
FIN DU DEUXIÈME ACTE.
Un havre bordé de rochers d'un côté. Sur le devant de la scène, la maison de Daland. Au fond, le navire du Norvégien, et celui du Hollandais assez rapprochés l'un de l'autre. Nuit claire. Le navire norvégien est illuminé, les matelots sont sur le pont, bruyants éclats de joie. L'aspect du navire Hollandais forme avec cette allégresse un contraste sinistre; une nuit fantastique l'enveloppe de toutes parts. Il y règne un silence de mort.
LES MATELOTS HOLLANDAIS.
CHŒUR DE MATELOTS.
(Ils dansent gaîment sur le tillac en frappant du pied.)
LES MATELOTS, LES JEUNES FILLES.
Les jeunes filles arrivent apportant des corbeilles pleines de vivres et de liqueurs.
LES JEUNES FILLES.
(Elles s'approchent du vaisseau hollandais.)
LES MATELOTS.
LES JEUNES FILLES.
LES MATELOTS.
(Examinant le vaisseau hollandais.)
LES JEUNES FILLES, se dirigeant vers le vaisseau hollandais.
LES MATELOTS, riant.
LES JEUNES FILLES.
(Long silence.)
LES MATELOTS.
(Long silence.)
LES JEUNES FILLES, surprises et effrayées.
LES MATELOTS, plaisantant.
LES JEUNES FILLES.
LES MATELOTS.
LES JEUNES FILLES.
LES MATELOTS.
LES JEUNES FILLES.
LES MATELOTS.
LES JEUNES FILLES, s'éloignant avec effroi du navire hollandais.
LES MATELOTS.
LES JEUNES FILLES, tendant leurs corbeilles par-dessus le bord.
LES MATELOTS.
LES JEUNES FILLES.
(Elles s'en vont.)
LES MATELOTS, LE TIMONIER.
LES MATELOTS, vidant les corbeilles.
LE TIMONIER.
(À partir de ce moment, le mouvement commence sur le vaisseau hollandais.)
LES MATELOTS NORVÉGIENS.
(Ils boivent et choquent fortement leurs gobelets.)
LES MARINS NORVÉGIENS, LES MARINS HOLLANDAIS.
L'équipage du Vaisseau fantôme paraît sur le pont du navire. La mer, qui reste calme partout ailleurs, s'agite soudainement autour du Vaisseau fantôme. Une lueur bleuâtre et sinistre flamboie sur le navire comme un fanal de garde. Un vent de tempête se met à siffler dans les cordages. L'équipage qui, auparavant, n'avait pas donné signe de vie, commence à s'animer et exécute avec rapidité les diverses manœuvres.
LES MARINS DU VAISSEAU FANTÔME.
Les matelots norvégiens observent d'abord avec surprise, ensuite avec épouvante ce qui se passe à bord du Vaisseau fantôme.
Pendant le chant des Hollandais leur navire est ballotte par les flots. Un vent horrible se fait sentir à travers les cordages et les voiles qui s'agitent avec un bruit lugubre et menaçant.
Par un contraste surnaturel le calme le plus parfait règne dans l'air et sur la mer, partout, excepté autour du Vaisseau fantôme.
LES MATELOTS NORVÉGIENS.
LES HOLLANDAIS.
Le chant des Hollandais est devenu de plus en plus sauvage, les Norvégiens cherchent vainement à le dominer par leur chanson. Le tumulte de la mer et le mugissement d'une tempête surnaturelle les réduisent an silence. Au comble de l'épouvante ils s'enfuient en abandonnant le pont de leur navire. Les Hollandais qui les voient fuir, poussent un cri strident de moquerie. Tout à coup un silence profond règne de nouveau sur le Vaisseau fantôme, la mer et la tempête se calment également.
SENTA, ÉRIK.
Senta sort tout émue de la maison. Érik la suit dans une vive agitation.
ÉRIK.
SENTA, se détournant avec une émotion douloureuse
ÉRIK.
SENTA, en proie à une lutte intérieure.
ÉRIK.
SENTA.
ÉRIK.
SENTA, avec vivacité.
ÉRIK, avec douleur.
Les Mêmes, LE HOLLANDAIS.
(Le Hollandais, qui depuis un moment écoutait, accourt dans une violente agitation.)
LE HOLLANDAIS.
ÉRIK, reculant épouvanté.
LE HOLLANDAIS.
SENTA, se jetant devant le Hollandais.
ÉRIK.
LE HOLLANDAIS.
(À Senta.)
ÉRIK.
SENTA, au Hollandais, le retenant.
LE HOLLANDAIS, donnant le signal à son équipage.
SENTA, au Hollandais.
LE HOLLANDAIS.
ÉRIK.
LE HOLLANDAIS, à Senta.
(Il remonte.)
ÉRIK, criant et courant avec agitation de la maison au vaisseau. À Senta.
SENTA, arrêtant le Hollandais.
ÉRIK.
Les Mêmes, DALAND, MARIE, les Jeunes Filles, les Matelots.
(Aux cris d'Érik sont accourus Daland, Marie et les Jeunes Filles, les matelots sont descendus du navire.)
DALAND.
TOUS.
LE HOLLANDAIS, à Senta.
(Il montre son vaisseau, dont les voiles rouges sont déployées et dont l'équipage est en train d'appareiller avec une agitation effroyable.)
LES MATELOTS HOLLANDAIS.
(Le Hollandais, avec la rapidité de l'éclair, monte sur son vaisseau qui s'éloigne à l'instant au bruit des cris de l'équipage; Senta veut suivre le Hollandais, Daland, Érik et Marie la retiennent.)
DALAND, ÉRIK,
(Senta s'est dégagée par un violent effort, elle atteint une pointe de roches qui s'avance dans la mer, de là elle crie au Hollandais qui s'éloigne.)
SENTA.
(Elle se jette dans la mer. Au même moment le navire du Hollandais s'abîme avec son équipage au milieu des flots. Au fond on voit s'élever au-dessus de la mer le Hollandais et Senta transfigurés. Il la tient embrassée.)
FIN
ÉMILE COLIN—IMPRIMERIE DE LAGNY
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